La rencontre du droit de la propriété intellectuelle et du droit de l’exécution, c’est-à-dire des saisies, est surprenante.
L’article R. 241-1 3° du Code des procédures civiles d’exécution indique que c’est le Code de la propriété intellectuelle qui énonce les règles de la saisie en matière de droit de propriété littéraire, artistique et industrielle.
Mais la pêche est maigre à la lecture du Code de la propriété intellectuelle :
- rien sur la façon dont saisir le droit d’auteur (au moins les droits patrimoniaux, le droit moral étant inaliénable, il ne peut être saisi), à part pour prévoir les conditions dans lesquelles l’auteur peut obtenir le versement d’une partie des sommes issues de l’exploitation des droits qui auraient été saisies et l’insaisissabilité partielle de ces sommes (articles L. 333-1 à L. 333-4 du Code de la propriété intellectuelle) ;
- à peine une mention en passant sur la saisie des marques (à l’article R. 714-4 du Code de la propriété intellectuelle, pour indiquer qu’une saisie est un acte modifiant la propriété et qu’elle peut être inscrite à l’Inpi) ;
- deux articles sur la saisie des brevets.
Si ce quasi-silence ne suffisait pas, la procédure en matière de saisie de brevet fait penser à un dinosaure qui aurait échappé à l’extinction !
Les textes sont en effet les suivants :
- « la saisie d’un brevet est effectuée par acte extra-judiciaire signifié au propriétaire du brevet, à l’Institut national de la propriété industrielle ainsi qu’aux personnes possédant des droits sur le brevet ; elle rend inopposable au créancier saisissant toute modification ultérieure des droits attachés au brevet.
- « À peine de nullité de la saisie, le créancier saisissant doit, dans le délai prescrit, se pourvoir devant le tribunal, en validité de la saisie et aux fins de mise en vente du brevet » (article L. 613-21 du Code de la propriété intellectuelle) ;
- « le délai prévu à l’alinéa 2 de l’article L. 613-21 est de quinze jours à compter de la date de la signification de la saisie prévue à l’alinéa premier dudit article » (article R. 613-51 du Code de la propriété intellectuelle).
Contrairement à la logique qui anime le droit de l’exécution, la saisie de brevets n’est donc pas conditionnée à l’existence préalable d’un titre exécutoire bénéficiant au saisissant, c’est-à-dire typiquement d’un jugement condamnant le titulaire du brevet à payer certaines sommes à celui qui le saisit.
Bien au contraire, la saisie doit être suivie d’une procédure judiciaire de validation aboutissant à la vente aux enchères.
C’est-à-dire qu’il est possible de pratiquer une saisie de brevet de but en blanc, sans aucune autorisation judiciaire comme cela se pratique pour les saisies conservatoires ordinaires, puis d’assigner devant un tribunal afin d’obtenir un jugement condamnant le breveté, validant la saisie et organisant la vente !
En réalité, on reconnaît là l’ancienne saisie-arrêt d’avant la réforme du droit de l’exécution de 1991.
Rien ne justifie cette survivance qui résulte plus sûrement d’un oubli du législateur.
Les inconvénients de l’ancien système sont connus : il ajoutait du contentieux à du contentieux puisque, une fois un jugement de condamnation obtenue (peu de gens se risquant à une saisie-arrêt de but en blanc), il fallait à nouveau obtenir un jugement pour mener à bien les saisies.
La réforme de 1991 a donc eu pour but de déjudiciariser l’exécution mobilière, en réservant l’intervention du juge aux litiges sur la régularité des saisies pratiquées.
Est-ce le caractère désuet de la saisie de brevet qui explique sa rareté ?
En tout cas, l’Inpi n’a inscrit que 13 saisies de brevet sur 32 titres depuis 2014, l’année 2019 étant un cru exceptionnel, avec 5 saisies sur 14 titres :
2014 | 2015 | 2016 | 2017 | 2018 | 2019 (janv-sept) | |
Nombre de demandes d’inscription de saisie brevet inscrites au RNB | 3 | 2 | 0 | 0 | 3 | 5 |
Nombres de titres visés | 4 | 5 | 0 | 0 | 9 | 14 |
Logiquement, les procédures de validation des saisies devant les tribunaux sont encore plus rares puisqu’on imagine bien qu’un certain nombre d’affaires sont transigées et s’arrêtent une fois la saisie pratiquée.
Pour celles qui se poursuivent devant les tribunaux, les quelques décisions trouvées montrent que l’archaïsme de la saisie de brevet engendre un flottement certain, à la fois du côté des avocats et des juges.
Dans un jugement expéditif, le Tribunal de grande instance de Paris a ainsi annulé une saisie de brevet, faute pour le saisissant d’avoir prouvé la signification du jugement de condamnation qu’il avait préalablement obtenu et la dénonciation de la saisie au breveté suite à sa réalisation entre les mains de l’Inpi (TGI Paris, 3e Chambre 1re Section, 27 mars 2012, RG n° 11/12041).
Mais si ces conditions ont un sens en matière de saisie-vente de meubles incorporels dans le droit issu de la réforme de 1991, elles n’en ont aucun en matière de saisie de brevet.
La Cour d’appel a infirmé ce jugement et validé la saisie, toutefois uniquement parce que le saisissant avait finalement prouvé avoir accompli toutes ces formalités et non parce qu’elles étaient inutiles, ce qu’elles étaient pourtant (CA Paris, Pôle 5 Chambre 1, 25 novembre 2014, RG n° 14/00222).
Dans un jugement de 1997, le Tribunal de grande instance de Bobigny a quant à lui fait référence à une autorisation sur requête du juge de l’exécution pour procéder à une saisie conservatoire de brevet, tout en visant les textes du Code de la propriété intellectuelle (JEX Bobigny, 19 novembre 1997, PIBD 1998, 647, III, 72).
Le Tribunal de grande instance de Paris a fait de même dans un jugement de 2010 (TGI Paris, 3e Chambre 4e Section, 6 mai 2010, RG n°09/14876).
Or une telle autorisation que la réforme de 1991 a introduite dans le cadre des mesures conservatoires, c’est-à-dire avant l’obtention d’un titre exécutoire, n’avait pas sa place dans l’ancienne saisie-arrêt et donc dans la saisie de brevet telle qu’elle survit aujourd’hui.
Elle est donc tout aussi inutile que la signification du jugement de condamnation qui aurait été obtenu.
Mais on peut penser que l’avocat qui l’a demandée a voulu se rassurer en empruntant les chemins balisés et bien connus depuis la réforme de 1991 il y a près de 30 ans.
C’est cependant alors le risque de nullité de la procédure qui le guette, car le régime de l’autorisation devant le juge de l’exécution n’a rien à voir avec le régime de la saisie de brevet, en particulier en termes de procédure.
Dans le premier cas, le créancier a notamment un mois à compter de la saisie pour assigner son débiteur (articles L. 511-4 et R. 511-7 du Code des procédures civiles d’exécution).
Ce n’est que quinze jours dans la saisie de brevet.
La survivance de la saisie-arrêt au travers de la saisie de brevet apparaît donc comme une source de confusion pour le praticien, en particulier spécialisé en propriété intellectuelle.
Celui-ci n’a pas forcément conscience de s’engager dans une procédure dont la logique est étrangère à ce qui prévaut en matière d’exécution depuis maintenant près de trente ans et ses éventuels réflexes peuvent se transformer en un piège pour lui.
Surtout, l’examen des procédures engagées devant les tribunaux montre le temps perdu entre la saisie du brevet et sa validation :
- de dix mois (TGI Paris, 3e Chambre 2e Section, 2 octobre 2009, RG n°08/17860);
- à plus de cinq ans (TGI Paris, 3e Chambre 1re Section, 11 mai 2005, RG n°03/15662) ;
- en passant par plus de trois ans et demi, après un appel (TGI Paris, 3e Chambre 1re Section, 5 février 2008, RG n°06/06836 ; CA Paris, Pôle 5 Chambre 2, 25 septembre 2009, RG n°2008/09737) ;
Encore ne s’agit-il que du temps de la phase judiciaire.
Car la validation par le tribunal ne permet que d’enclencher la vente effective.
Celle-ci prendra elle-même plusieurs mois à mener à bien, notamment du fait de la nécessite d’établir un cahier des charges et de procéder à la publicité.
Ce temps (et cet argent…) perdu a des conséquences immédiates sur la valeur de réalisation du brevet saisi dès lors que la durée de vie totale d’un brevet est de vingt ans.
La procédure de validation peut donc l’amputer de jusqu’à un quart.
Ce temps perdu peut même rendre la saisie totalement inefficace si le brevet tombe dans le domaine public alors que la procédure de validation est toujours en cours…
La valorisation des brevets d’invention est aujourd’hui un thème qui intéresse les pouvoirs publics, en particulier au travers du fonds d’investissement France Brevets.
Il serait donc opportun, 28 ans après la réforme de 1991, de dépoussiérer leur saisie, pour l’inscrire dans la logique actuelle du droit de l’exécution en matière mobilière : déjudiciarisation mais aussi protection du débiteur.
Car en plus de léser le créancier par le temps qu’elle fait inutilement perdre, la procédure telle qu’elle existe aujourd’hui ne prévoit même pas que le breveté saisi puisse proposer la vente amiable du brevet à un tiers qu’il présenterait, moins aléatoire qu’une vente aux enchères quant à son résultat.
Si la vente amiable est bien sûr toujours possible avec l’accord du créancier, dans le cadre d’une transaction sur l’exécution, le breveté saisi se trouve aujourd’hui soumis au bon vouloir de son créancier et ne peut même pas plaider l’abus de droit en cas de refus de la proposition comme cela est possible dans le régime actuel de la saisie-vente.
Or la pratique des saisies montre que les parties ne sont pas toujours animées des meilleures intentions les unes envers les autres.
De quelle que côté qu’on regarde la chose, une réforme de la saisie de brevet s’impose donc.
Tous mes remerciements aux services de l’Inpi pour m’avoir communiqué les statistiques sur les saisies de brevet inscrites auprès d’eux.
Charles Simon
Avocat au Barreau de Paris
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteurs et ne sauraient refléter la position de l’Institut.