1. Thierry Mollet-Vieville critique l’orientation prise par notre droit positif de la saisie-contrefaçon qui fait application du principe de proportionnalité pour confiner la mesure à sa finalité probatoire d’une contrefaçon particulière.
2. Il n’y a pas lieu d’abord de s’étonner (comme il le fait) du développement sensible depuis près d’un siècle des contestations en la matière. Comment pourrait-il en aller autrement alors que la saisie-contrefaçon met en scène la confrontation la plus sévère et la plus brutale des intérêts des parties qui s’opposent sur une contrefaçon seulement alléguée ? Pour la prétendue victime d’une contrefaçon, il s’agit de faire jouer un avantage procédural important, quasiment incontournable en matière de contrefaçon de brevet, puisqu’il permet le plus souvent d’économiser une expertise judiciaire longue et coûteuse, voire aléatoire. Car, cette mesure d’instruction lui permet d’investir, sinon de faire perquisitionner, le domicile d’un concurrent pour recueillir des preuves de la contrefaçon qu’il allègue et ce, en exécution d’une autorisation judiciaire obtenue à l’insu de son adversaire. Cette exception à tous les principes directeurs du procès est justifiée par la nécessité d’obtenir un effet de surprise pour éviter que des preuves ne soient autrement trop aisément dissimulées par un adversaire qui en serait préalablement informé. Cet avantage important n’est accordé qu’au titulaire d’un DPI alors qu’en droit commun (sur le fondement de l’article 145 du CPC), le même avantage suppose d’abord la bien délicate double justification de l’urgence et de la nécessité d’écarter en l’espèce le principe du contradictoire (essentiellement parce que des circonstances établies peuvent précisément faire craindre autrement une dissimulation des preuves que l’on recherche).
3. Les deux parties qui s’opposent peuvent alors exciper de leurs droits fondamentaux respectifs qui se contredisent pour justifier ou, au contraire, exclure la mesure : le droit fondamental de propriété intellectuelle et le droit de prouver ses atteintes pour la prétendue victime de la contrefaçon et le droit à l’inviolabilité du domicile, à sa propre propriété corporelle ou intellectuelle, y compris ses secrets d’affaire pour le prétendu auteur ou détenteur de la contrefaçon qui subit la mesure. En présence de telles contradictions impossibles à résoudre en toute logique et dont l’humanité et ses systèmes juridiques sont pourtant pétris, depuis l’antiquité, on n’a rien trouvé de mieux que ce subtil principe de proportionnalité pour seulement composer avec elles autant que la raison le permet (Sur l’irrésistible émergence de ce principe en droit des propriétés intellectuelles, lire notre article « Quelques réflexions sur les origines de l’irrésistible émergence du principe de proportionnalité avec balance des intérêts in situ » in Propr. Intel., n° 61, pp. 418 et s.). S’agissant précisément de la saisie-contrefaçon, il faut alors admettre la prérogative légale mais seulement à condition de l’enfermer strictement et proportionnellement dans sa finalité probatoire. C’est seulement dans cette mesure que l’atteinte aux droits fondamentaux de celui qui subit la mesure pourra se trouver légitimée.
4. Précisément, pour pouvoir confiner la mesure par sa finalité probatoire d’une contrefaçon particulière, le juge doit évidemment savoir de quoi on parle et c’est pourquoi le requérant doit lui apporter les premiers éléments de preuve de la contrefaçon qu’il allègue. De fait, le requérant, dans l’immense majorité des cas, dispose bien de ces premiers éléments de preuve à l’heure où tant d’informations circulent en ligne et sur les marchés. C’est seulement ainsi que le juge pourra vérifier que les mesures proposées dans la requête sont bien proportionnellement justifiées par la finalité probatoire de la mesure. Et si même, par extraordinaire ou par exception, ces premiers éléments de preuve ne sont pas raisonnablement accessibles, le requérant pourra justifier de cette impossibilité de les réunir pour mériter encore néanmoins la mesure comme le dispose l’article 7 de la directive 2004/48.
5. Pour justifier en droit cette exigence des premiers éléments de preuve dès le stade de la requête, outre la nécessité de mettre en œuvre ce contrôle de proportionnalité (comme l’a fait l’arrêt de la CA Paris, pôle 5-1 du 111 sept. 2018, RG n° 18/01099 et nos observation in Propr. Intel. n° 70 pp. 77 et s.) , il est encore possible de se fonder sur l’article 7 de la directive 2014/48 comme on l’a déjà démontré (lire sur ce point notre chronique in Propr. Intel. n° 66, pp. 89 et s.) et comme la jurisprudence le confirme (CA Paris, pôle 1-2, 20 septembre 2018, RG n° 17/14810 et nos observation in Propr. Intel. n° 70 pp. 77 et s.) . Et même abstraction faite de cette disposition – qui n’a aucun effet direct horizontal – tous les textes du CPI, notamment les
articles L. 521-4, L. 615-5 et L.716-7 du CPI, ne permettent de décrire ou de saisir que les objets « prétendus contrefaisants », ce qui conduit à déduire qu’il faut déjà commencer à prouver ce caractère contrefaisant nécessaire au succès de la prétention, conformément à l’article 9 du CPC.
6. En fin de compte, Thierry Mollet-Vieville défend ce que j’ai déjà dénommé « la saisie-contrefaçon automatique » qui a longtemps été accordée par le passé sur la seule justification du titre, l’autorité saisie n’ayant d’autre pouvoir que de vérifier la réalité dudit titre. Une vieille formule illustrait cette automaticité : « Requis nous sommes, déférer, nous devons ». Cette conception est aujourd’hui heureusement dépassée car s’il faut saisir un juge, ce n’est pas seulement pour vérifier la réalité d’un titre, ce qu’un greffier ou un commissaire de police ou de justice pourrait bien faire seul. S’il faut saisir un juge, c’est pour bien vérifier la proportionnalité de cette mesure si intrusive pour ne pas porter atteinte excessivement aux droits fondamentaux de la personne qui va la subir et qui pourrait se révéler in fine non coupable ni même détentrice de la moindre contrefaçon.
Le 11 décembre 2022,
Charles de HAAS