Dans un photomontage publié en Une, le magazine Le Point avait reproduit la sculpture du buste de Marianne réalisée par l’artiste Alain Aslan, avec les traits de Brigitte Bardot, en train de sombrer sous les eaux avec le titre « les naufrageurs » et le sous-titre « Corporatistes, intouchables, tueurs de réformes, lepéno-cégétistes…. (…) la France coule et ce n’est pas leur problème ». Assigné en contrefaçon par la veuve de l’artiste, l’organe de presse, qui n’avait pas sollicité d’autorisation préalable, a évoqué l’exception de parodie comme moyen de défense. Avec succès.
Selon l’article L. 122-5 4° du Code de la propriété intellectuelle « lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : (…) 4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ». Les conditions d’application de cette exception aux droits patrimoniaux de l’auteur sont assez souples. Malgré ces contours imprécis, le standard juridique des « lois du genre » est néanmoins connu et circonscrit. Deux conditions en définissent les grandes lignes : (i) absence d’intention de nuire et (ii) absence de risque de confusion entre les deux œuvres. Ces deux conditions sont rappelées par la Cour de cassation dans la décision sous commentaire. Mais si la décision mérite d’être signalée, c’est parce qu’elle va plus loin.
Par son arrêt du 22 mai 2019, la Cour de cassation ajoute en effet que l’exception de parodie échappe aux prérogatives morales de l’auteur de l’œuvre parodiée en ce qu’il n’est pas nécessaire d’en mentionner la source. A vrai dire, la solution n’est pas nouvelle, mais elle est exposée sans ambiguïté par la Cour de cassation qui se place sous l’égide de la jurisprudence de la CJUE en énonçant qu’elle avait « dit pour droit », dans son arrêt du 3 septembre 2014, que la parodie « est une notion autonome du droit de l’Union et n’est pas soumise à des conditions selon lesquelles la parodie devrait mentionner la source de l’œuvre parodiée ou porter sur l’œuvre originale elle-même » (CJUE, 3 septembre 2014, aff. C-201/13 Johan Deckmyn et Vrijheidsfonds c/ Helena Vandersteen).
L’un des autres intérêts de l’arrêt commenté est qu’il vient rappeler que le droit d’auteur évolue sous l’impulsion de la règlementation de l’Union européenne, mais également de la jurisprudence de la CJUE puisque les législations nationales sont interprétées à la lumière des directives (en l’occurrence la directrice 2001/29/CE du parlement européen et du conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, prévoyant notamment l’exception de parodie alors même que celle-ci existait en droit français bien avant le texte de l’Union européenne).
Ce rappel n’est pas anodin alors que s’ouvre, en droit français, les chantiers de transposition des directives prises dans le cadre du Marché unique numérique (ou Digital Single Market) avec notamment celle sur le droit d’auteur (directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE) et celle sur les services des médias audiovisuels (SMA) (directive (UE) 2018/1808 du parlement européen et du conseil du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, compte tenu de l’évolution des réalités du marché).
Nous aurons l’occasion d’en reparler.
Xavier PRÈS
Avocat à la Cour, docteur en droit, mentions de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle et en droit des nouvelles technologies, de l’informatique et de la communication
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