Par une décision T489/14 du 22 février 2019, la chambre de recours 3.5.07 de l’Office européen des brevets a, en application de l’article 112(1) a) CBE, soumis à la Grande Chambre de recours une série de questions concernant l’appréciation de l’activité inventive des méthodes de simulation assistée par ordinateur (Affaire G1/19).
Quelques mots, tout d’abord, du contexte.
On le sait, les revendications portant sur de telles méthodes échappent à l’exclusion de la brevetabilité visée à l’article 52(2) CBE en ce qu’elles impliquent à tout le moins l’utilisation d’un ordinateur en tant que « moyen technique » (décision T258/03 HITACHI).
Ces inventions sont dites de type « mixte » puisqu’elles comportent à la fois des caractéristiques techniques et des caractéristiques « non techniques », c’est-à-dire des caractéristiques se rapportant à des objets exclus de la brevetabilité selon l’article 52 (2) de la CBE, généralement des caractéristiques qui entrent dans la catégorie des méthodes mathématiques ou des méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles.
Or, dans le cadre de l’appréciation de leur activité inventive, seules les caractéristiques qui contribuent au caractère technique de l’invention sont prises en considération. Les caractéristiques « non techniques » ne peuvent être tenues en considération que si elles contribuent à produire un effet technique visant un objectif technique (T641/00 COMVIK).
L’approche problème-solution appliqué aux inventions de type mixte impose donc de déterminer quelles caractéristiques contribuent au caractère technique de l’invention et de s’interroger sur leur effet technique.
C’est précisément la question de l’identification de l’effet technique produit par une méthode de simulation et du problème technique qu’elle entend résoudre qui est ici soumise à la Grande Chambre par la chambre de recours 3.5.07.
La demande de brevet, rejetée par la division d’examen pour défaut d’activité inventive, portait sur une méthode de simulation assistée par ordinateur du mouvement d’une foule de piétons à travers un « environnement » ou une « structure de bâtiments » modélisés, l’objectif de l’invention étant est de fournir des résultats pouvant être utilisés dans le cadre de la conception de bâtiments tels que des gares ou des stades.
La revendication 1 de la requête principale présentée en appel par le déposant détaillait les étapes constituant la méthode de simulation revendiquée « en tant que tel », c’est à dire sans référence au procédé de conception de bâtiments susceptible d’utiliser les données issues de la simulation.
Relevant que ces étapes pourraient, en principe, être mises en œuvre sans l’aide d’aucun moyen technique, autrement dit exclusivement mentalement, la chambre tend à considérer que seule la référence à l’assistance d’un ordinateur est susceptible de conférer un caractère technique à l’invention.
Partant, elle s’interroge sur l’activité inventive de l’objet d’une telle revendication, en soulignant que la mise en œuvre par ordinateur d’une méthode dépourvue de caractère technique peut en elle-même même constituer un simple exercice de programmation dépourvu d’activité inventive.
La chambre recherche ainsi si d’autres aspects techniques peuvent être identifiés dans l’objet de la revendication principale. Soulignant qu’à son sens, un effet technique requiert au minimum un lien direct avec la réalité physique, telle qu’une modification ou une mesure d’une entité physique, elle relève que ce lien fait défaut puisqu’il s’agit de modéliser la trajectoire de piétons virtuels qui se déplacent à travers un environnement modélisé pouvant ne jamais exister dans le monde réel. Elle tend ainsi à considérer que l’objet de la revendication principale est dépourvu d’activité inventive.
Ce faisant, la Chambre admet néanmoins que « l’environnement » concerné par les revendications constitue, lorsqu’il existe dans la réalité physique, une caractéristique technique et que la vitesse à laquelle des piétons peuvent traverser cet environnement est une propriété technique de celui-ci. Elle reconnaît dès lors que l’application de la solution dégagée dans la décision T 1227/05 conduirait à reconnaître au procédé de simulation en cause un caractère technique susceptible de contribuer à son activité inventive.
Dans cette affaire, la demande portait sur un procédé assisté par ordinateur comportant des étapes mathématiques visant à simuler le comportement d’un circuit sous l’influence de bruits en 1/f. La Chambre 3.5.01 avait jugé que la simulation assistée par ordinateur du « comportement d’une classe suffisamment définie d’objets techniques, ou de procédés techniques spécifiques, dans des conditions techniques pertinentes » constituait une finalité technique. Pour cette chambre, la simulation d’un circuit soumis à un bruit 1/f constituait ainsi un « objectif suffisamment défini d’un procédé assisté par ordinateur, dans la mesure où le procédé se limite fonctionnellement à l’objectif technique » (point 3.1 des motifs). La chambre en avait déduit que le résultat revendiqué ne pouvait être assimilé à l’activité intellectuelle ou mathématique qui le précédait et avait affirmé qu’un effet technique ne pouvait être dénié à de tels procédés de simulation pour la simple raison qu’ils n’englobent pas encore le produit final sous forme matérielle (point 3.4.2 des motifs).
La chambre 3.5.07 émet des doutes de deux ordres concernant la solution dégagée par cette décision:
- La méthode de simulation revendiquée servirait uniquement à assister l’ingénieur dans le procédé « cognitif » visant à vérifier, sur un plan théorique, le design du circuit (ou de l’environnement) en cause ;
- Pour reconnaître l’existence d’un effet technique, la décision s’appuierait sur la vitesse d’exécution de la simulation par ordinateur, sans caractériser d’effet technique allant au-delà de la simple mise en œuvre de la méthode par ordinateur.
C’est au regard de cette divergence d’appréciation que la chambre 3.5.07 sollicite l’avis de la Grande Chambre des recours quant aux conditions nécessaires pour que des méthodes de simulation assistées par ordinateur puissent être considérées comme ayant un effet technique allant au-delà de la simple mise en œuvre informatique de cette simulation.
Les questions soumises sont ainsi énoncées :
- Aux fins de l’appréciation de l’activité inventive, la simulation assistée par ordinateur d’un système ou d’un procédé technique peut-elle résoudre un problème technique en produisant un effet technique allant au-delà de la mise en œuvre par ordinateur de la simulation, lorsque cette simulation assistée par ordinateur est revendiquée en tant que telle ?
- S’il est répondu par l’affirmative à la première question, quels sont les critères pertinents pour déterminer si une simulation assistée par ordinateur, revendiquée en tant que telle, résout un problème technique ? En particulier, suffit-il pour cela que la simulation repose, au moins en partie, sur des principes techniques qui sous-tendent le système ou le procédé simulé ?
- Comment faut-il répondre à la première et à la deuxième question lorsque la simulation assistée par ordinateur est revendiquée comme faisant partie d’un procédé de conception, notamment dans un but de vérification d’une conception ?
L’intérêt suscité par cette affaire est certain : plus d’une vingtaine d’observations écrites de tiers, émanant des principales entreprises et associations professionnelles du secteur, sont d’ores et déjà parvenues à la Grande Chambre, alors même que la date de la procédure orale n’est pas encore fixée.
L’agenda de la Grande chambre de recours pour les mois à venir est décidément chargé. Alors qu’elle vient juste de rendre sa décision écrite dans l’affaire G2/09 (droit d’un tiers à voir son appel à l’encontre d’une décision de délivrance d’un brevet examiné dans le cadre d’une procédure orale et compatibilité de l’organisation des procédures orales au siège des chambres de recours à HAAR avec le droit des parties à être entendues selon l’article 113(1) EPC), elle doit aussi, rappelons-le, se prononcer dans l’affaire G3/19 sur la conformité à l’article 53b) CBE de l’exclusion de la brevetabilité des végétaux et animaux obtenus exclusivement au moyen d’un procédé essentiellement biologique, prévue par la règle 28(2) CBE.
A suivre avec attention, donc.
Aurélie Jimenez
Membre juriste des chambres de recours
Magistrat détaché
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